mardi 4 février 2014

Nostalgie quand tu nous tiens...

Il pleut doucement sur le front de mer. Les passants se font rares, ils se pressent vers le café, un salutaire chocolat chaud, un abrit. Sous le vent qui balaie obstinément la grève, chacun se hâte vers ce qui pourra le réchauffer, chacun se hâte et flâne à la fois. C’est le mystère, l’instant magique, l’incohérence. La mélancolie ou l’obscur plaisir de se mouiller, de sentir les éléments sur sa peau ; tout est brassé indifférement. Le clapotis des vagues sur la grève et, au loin, l’île aux oiseaux. 
Je regarde les amoureux se serrant les uns contre les autres, frileusement et avec bonheur, ces soleils de bord de mer, ces soleils hors saison, les pas pressés sur le ponton. 


Il pleut doucement sur le front de mer. C’est vivre que de ne pas jouer la douarière frileuse, prendre le temps de respirer à pleins poumons le vent du large qui s’est engouffré dans le Bassin, regarder le pavé s’humidifier lentement. Céder un instant à la mélancolie et dériver sur les embruns. Nous irons tout de même réfugier nos songes au Repetto en attendant que le voile se déchire. 
Dans les rues de la Ville d’Hiver, le regard rêve. “Alexandre Dumas”, “L’Aiglon”, “Marguerite”, “Bretagne”, villas du passé mortes avec lui. Un enfant joue dans une cour ombragée ; un chat contemple, dubitatif, quelques mouettes égarées loin du rivage ; une femme aux allures de duègne règne sur son perron. 
Le passant monte, descend, refait ce petit jeu d’ascenseur le temps de sa promenade. Flâneur Kodak, promeneur du dimanche, estivant, chacun contemple encore, après tant d’années, avec un œil curieux les façades excentriques ou sages. Une tête de lion sur l’une, une gargouille sur l’autre, chacun a posé sa marque de fabrique, son sceau qui désigne de loin la propriété de tel riche négociant, de Madame de..., d’un Monsieur quelque chose. 
Au dessus de la ville basse et de ses bruits, le temps s’est arrêté, une parenthèse s’est ouverte infiniment. Ici tout est feutré, un vaste tapis de laine épaisse semble recouvrir la chaussée, les allées du parc mauresque, les cours des villas. Les bruits de moteurs semblent incongrus, ne parlons pas des radios, des T.S.F. devrais - je dire. “Qu’est - ce une radio ?” murmure, distraite, une octogénaire à demi assoupie dans les bras de son Voltaire. 
Ces paroles de Julie de Lespinasse qui reviennent en mémoire : “Si j’avais été calme, raisonnable, froide, rien de tout cela ne serait arrivé. Je végéterais avec toutes les femmes qui jouent de l’éventail.” Nul risque en ces salons, chacune s’accorde à dire que le calme froid est préférable à l’agitation des sentiments. Et de faire du vent... avec un éventail bien sûr ! 
Le vent agite doucement les ramures, il est l’heure de rentrer ma tante ! La lumière baisse lentement, devient orangé, rasante. Les photographes pointent le nez dehors en quête du cliché jamais fait, de l’éclairage parfait, de la composition idéale. 
Il y a déjà un siècle quelques couronnes se sont hasardées en ces lieux, une plaque demeure, ultime point d’ancrage d’une époque révolue. L’ombrelle de la future reine d’Espagne, le  regard douloureux de l’Impératrice d’Autriche, sa fantaisie aussi, planent sur les rues qui s’enroulent autour de la colline qui, pour un peu serait inspirée. Des Magestés augustes, des Altesses régnantes, des Académiciens en cure de jouvence sont passés en calèches. Ne manque qu’une bénissante Éminence, une touche de pourpre sur la blancheur des façades, une nuance de rouge sur le front de mer, juste avant le couchant... 
Il y a un siècle, et c’est aujourd’hui où la vie continue tout de même. 
Arcachon, ville de songes et de profondeur. Ville de rencontres. Des sourires, des rires, des paroles, des silences, tout cela mêlé. Saveur indiscutable et bonheur qui s’approche. 

Il y eût une semaine et c’était hier. C’était hier et c’est demain. 

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