mercredi 5 février 2014

Une lettre vient d'arriver...

Pour le charme du style, voici une des 1500 lettres (on murmure qu'il y en eût davantage) que la Marquise de Sévigné rédigea durant sa vie...


A Bussy-Rabutin

A Paris, ce mardi 14e mai 1686
"Tous vos plaisirs (...), vos lettres et vos vers m'ont donné une véritable joie, et surtout ce que vous écrivez pour défendre Benserade et La Fontaine contre ce vilain factum. Je l'avais déjà fait en basse note à tous ceux qui voulaient louer cette noire satire. 
Je trouve que l'auteur fait voir clairement qu'il n'est ni du monde, ni de la cour, et que son goût est d'une pédanterie qu'on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu'on n'entend jamais quand on ne les entend pas d'abord. On ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des Ballets de Benserade et des Fables de La Fontaine. Cette porte leur est fermée, et la mienne aussi ; ils sont indignes de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur de les improuver, et d'être improuvés aussi des gens à qui Dieu a donné un assez bon esprit pour les goûter. Nous avons trouvé beaucoup de ces gens-là. Mon premier mouvement est toujours de me mettre en colère, et puis de tâcher de les instruire, mais j'ai trouvé que c'est une chose absolument impossible. C'est un bâtiment qu'il faudrait reprendre par le pied ; il y aurait trop d'affaires. Et enfin nous trouvions qu'il n'y a qu'à prier Dieu pour eux, car nulle puissance humaine n'est capable de les éclairer. C'est le sentiment que j'aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu et les vers de Benserade, dont le Roi et toute la cour a fait ses délices, et qui ne connaît pas les charmes des Fables de La Fontaine. Je ne m'en dédis point : il n'y a qu'à prier Dieu pour un tel homme, et qu'à souhaiter de n'avoir point de commerce avec lui."


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