Voici, pour la dernière ligne droite avant le week end, une méditation un tantinet iconoclaste venant de la brumeuse Bretagne. Bonne lecture !
Un homme possède cent brebis. Il en perd une. Comme il est subventionné par Bruxelles, il ne signale pas sa disparition. De toutes façons, il en avait déclaré deux cents. Et c’était sensé être des veaux. Les fonctionnaires ont une prédilection pour les veaux. Surtout à Bruxelles.
Ou alors il déclenche le plan alerte enlèvement. On bat la campagne, comme plâtre, on trouve des ours slovènes, un loup efflanqué, des gypaètes barbus, un berger corse et cent autres choses distrayantes qui alimentent les gazettes, suscitent les commissions d’enquête. Le président de la République déplace le conseil des ministres, ils ont tous des cravates en laine en signe de solidarité. Une brebis de perdue, dix points dans les sondages.
Un éleveur possède cent vaches, il en perd une. Mais c’est la fièvre aphteuse qui est en cause. On abat le troupeau. L’embargo sur la viande bovine est décrété, les tests ADN sont pratiqués sur les touristes anglais, le prix de la blanquette s’envole à la bourse de Limoges. José Bové mange une entrecôte sur la place de la Concorde.
Un pasteur perd une brebis. Parce qu’elle n’a pas aimé son sermon. Parce qu’elle le trouve trop ferme sur l’enseignement de l’Église, pas assez moderne, trop papiste. Ou qu’elle ne supporte plus les messes où l’épître est lue au début, depuis le fond de l’édifice, où l’évangile est mimé, où l’on se serre la main à tout propos… Le pasteur part à sa recherche, les autres attendent, on continuera sans prêtre, seul ingrédient dont la présence réelle est nécessaire.
Une brebis perd son latin, elle simule la tremblante du mouton jusqu’à ce qu’on lui rende. On n’abat pas le troupeau. Pourtant, certains feraient volontiers un méchoui.
C’est fou ce qu’on perd comme brebis depuis quarante ans. On avait pris l’habitude des bergeries pleines, à cause du brebis boom, on se lamente sur les bergeries vides. On invente des parcours catéchétiques compliqués, d’autres plus mièvres, on confie le cheptel restant à des chiens de hasard, ils ont peur des loups, quand ceux-ci surviennent, ils s’enfuient. Qui a réintroduit les loups dans l’Église ?
Pour se rapprocher de leurs ouailles, les bergers se déguisent en moutons, quitte à friser le ridicule, certaines brebis se bombardent pasteurs, on ne sait plus à qui confier les agneaux.
Ou alors, les brebis font le procès des bergers, sans fin, sans délicatesse, elles montrent les dents dès qu’un mot a été prononcé de travers. Les brebis perdent à leur tour leur pasteur. Tout le monde perd tout le monde. On appelle ça la fatalité. Mais c’est surtout de la négligence. On réclame celui qu’on a brocardé, on chasse celui qu’on avait fait revenir. Les brebis se prennent pour des consommateurs, les bergers pour des publicitaires. La pastorale tient en un spot, les prés d’herbe grasse qu’on nous avait promis, sont des sacristies vides. On n’a pas assez soutenu nos bergers, on ne les a pas aimés, on ne leur a pas dit qu’on les aimait tels qu’ils étaient, avec des défauts qui nous les rendaient proches. Quand les brebis idéalisent leur berger, elles finissent déçues. Quand les bergers sont à genoux devant leur troupeau, il finit par se prendre au sérieux, il s’autonomise. Il brode, il invente, il se disperse.
Là-bas se trouve le vrai berger, nous le savons et aussi qu’on ne peut y aller seul. Il nous attend, nous appelle et nous conduit. Pour entendre sa voix il faut accepter de se sentir perdu. Se laisser guider.
Il ne nous perdra pas. Aucune de nos côtelettes ne fera défaut si nous nous en remettons entièrement à Lui. Il n’est pas subventionné, pas astreint aux trente-cinq heures, pas tenté par la publicité. Il nous connaît, tels que nous sommes et c’est ainsi qu’Il nous aime.
Il a dit « Je suis l’herbe, la houlette et la bergerie. »
Etienne Derval
mercredi 19 septembre 2007
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1 commentaire:
Un vrai régal !
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