jeudi 20 février 2014

Portrait du Père La Chaise par le duc de Saint Simon

Le P. de La Chaise était d'un esprit médiocre, mais d'un bon caractère, juste, droit, sensé, sage, doux et modéré, fort ennemi de la délation, de la violence et des éclats. Il avait de l'honneur, de la probité, de l'humanité, de la bonté; affable, poli, modeste, même respectueux. Lui et son frère ont toujours publiquement conservé une reconnaissance marquée jusqu'à une sorte de dépendance pour les Villeroy; il était désintéressé en tout genre quoique fort attaché à sa famille; il se piquait de noblesse, et il la favorisa en tout ce qu'il put. Il était soigneux de bons choix pour l'épiscopat, surtout pour les grandes places, et il y fut heureux tant qu'il y eut l'entier crédit. 
Facile à revenir quand il avait été trompé, et ardent à réparer le mal que la tromperie lui avait fait faire. On en a vu en son lieu un exemple sur l'abbé de Caudelet; d'ailleurs judicieux et précautionné, bon homme et bon religieux, fort jésuite, mais sans rage et sans servitude, et les connaissant mieux qu'il ne le montrait, mais parmi eux comme l'un d'entre eux. Il ne voulut jamais pousser le Port-Royal des Champs jusqu'à la destruction, ni entrer en rien contre le cardinal de Noailles, quoique parvenu à tout sans sa participation. Le cas de conscience et tout ce qui se fit contre lui de son temps, se fit sans la sienne. Il ne voulut point non plus entrer trop avant dans les affaires de la Chine, mais il favorisa toujours tant qu'il put l'archevêque de Cambrai, et fut toujours fidèlement ami du cardinal de Bouillon, pour lequel, en toutes sortes de temps, il rompit bien des glaces.

Il eut toujours sur sa table le Nouveau Testament du P. Quesnel qui a fait tant de bruit depuis, et de si terribles fracas; et quand on s'étonnait de lui voir ce livre si familier à cause de l'auteur, il répondait qu'il aimait le bon et le bien partout où il le rencontrait; qu'il ne connaissait point de plus excellent livre, ni d'une instruction plus abondante; qu'il y trouvait tout; et que, comme il avait peu de temps à donner par jour à des lectures de piété, il préférait celle-là à toute autre.

Il eut tout le crédit de la distribution des bénéfices pendant les quinze ou vingt dernières années de l'archevêque de Paris, Harlay. Son indépendance de Mme de Maintenon fut toujours entière et sans commerce avec elle; aussi le haïssait-elle, tant pour cette raison, que pour son opposition à la déclaration de son mariage, mais sans oser jamais lui montrer les dents, parce qu'elle connaissait de la disposition du roi à son égard. Elle se servit de Godet, évêque de Chartres, qu'elle introduisit peu à peu dans la confiance du roi, puis du cardinal de Noailles, après le mariage de sa nièce et à l'occasion de l'affaire de M. de Cambrai, pour balancer la distribution des bénéfices, et y entrer elle-même de derrière ses deux rideaux, ce qui commença à déshonorer le clergé de France, par les ignorants et les gens de néant que M. de Chartres et Saint-Sulpice introduisirent dans l'épiscopat, à l'exclusion tant qu'ils purent de tous autres.

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