mardi 15 mars 2016

Mise en cause de Mgr Barbarin : sortir des approximations

ANALYSE- Accusé par une association de ne pas avoir démis assez vite de ses fonction l'abbé Bernard Preynat, soupçonné d'abus sexuels et viols sur mineurs, le cardinal Philippe Barbarin est aujourd'hui rattrapé par une affaire qu'il pensait réglée par ses prédécesseurs.
Avant de comprendre la portée de l'affaire de prêtre pédophile qui secoue actuellement le diocèse de Lyon, il faut rappeler quelques faits indispensables à connaître. Le vendredi 4 mars 2016 le parquet de Lyon a ouvert une enquête préliminaire suite à la plainte déposée en mai 2015 par François Devaux, un ancien scout de 37 ans. C'est l'une des nombreuses victimes présumées de l'abbé Bernard Preynat, accusé d'abus sexuels et viols sur mineurs. Âgé aujourd'hui de 71 ans, ce prêtre a été mis en examen le 27 janvier 2016 pour des faits qui se sont produits de 1978 à 1991.
En février 1991, à la suite d'une dénonciation écrite de parents, le cardinal Albert Decourtray, alors archevêque de Lyon, a bel et bien retiré le père Preynat de la paroisse Saint-Luc, à Sainte-Foy-lès-Lyon. Pour, six mois plus tard, prendre la responsabilité de le remettre dans une autre paroisse.
Quand le cardinal Louis-Marie Billé remplace le cardinal Decourtray en juillet 1998, il confirme cette confiance ecclésiale. L'année suivante, avant de le nommer dans une nouvelle paroisse à Cours-la-ville Mgr Billé fait toutefois vérifier le dossier du père Preynat. Ne constatant ni lettres, ni faits, ni plaintes depuis 1991 contre ce prêtre, il lui confie cette nouvelle responsabilité.
Nommé à Lyon le 16 juillet 2002 le cardinal Barbarin continue dans la voie de ses prédécesseurs qui se fondaient sur le fait que ce prêtre avait cessé ses comportements scandaleux et avait exprimé ses remords.


Alerté plusieurs années plus tard par d'anciennes victimes de ce prêtre, qui jugeaient inadmissible qu'il soit encore en fonction, le cardinal Barbarin mène toutefois une nouvelle enquête interne en 2008. Elle aboutira - beaucoup trop lentement pour les victimes - à la mise à pied de ce prêtre. D'après les informations établies à ce jour, cette enquête interne a aussi confirmé que, depuis 1991, aucun fait délictueux ou criminel nouveau n'avait été reproché à ce prêtre.
Le cardinal Philippe Barbarin se trouve donc rattrapé par une affaire qu'il estimait avoir été réglée par ses prédécesseurs. Mais l'association de victimes le met en cause aujourd'hui en lui reprochant de ne pas avoir retiré assez vite ce prêtre du service. Il est resté en activité jusqu'au 31 août 2015 où il a été finalement mis à pied par décision du cardinal.
Mgr Barbarin est par ailleurs connu pour avoir systématiquement réagi sans états d'âme en écartant aussitôt des prêtres accusés de pédophilie. Il a plusieurs cas, tous vérifiables, à son actif. En interne, certains lui reprochent même sa «dureté» parce qu'il a exigé la transparence et la cohérence dans plusieurs affaires similaires touchant des communautés religieuses. Préférant à chaque fois le scandale public à l'omerta. Tout cela étant également vérifiable.
C'est donc à la justice d'établir sa part de responsabilité s'il en a une. Mais cette affaire révèle effectivement des comportements ecclésiaux que l'Église a fini par bannir à la fin du pontificat de Jean-Paul II, très fortement sous Benoît XVI - qui a fait le gros du travail - et maintenant sous le pape François.
L'Église catholique a mis beaucoup trop de temps à prendre vraiment au sérieux le poids du viol, de ses effets, et du scandale de l'omerta qu'on imposait aux victimes. Elle paie très cher aujourd'hui cette immunité qu'elle accordait à ses brebis galeuses
Il n'en reste pas moins que l'Église catholique a mis beaucoup trop de temps à prendre vraiment au sérieux le poids du viol, de ses effets, et du scandale de l'omerta qu'on imposait aux victimes. Elle paie très cher aujourd'hui cette immunité qu'elle accordait à ses brebis galeuses. Sans le lancement des réseaux sociaux aux États-Unis dans les années 1990, les victimes d'un même prêtre n'auraient pas pu se reconnaître, se grouper en association pour monter des «class action», soutenue par des avocats qui ont obligé, preuves à l'appui, les évêques a enfin reconnaître qu'ils avaient pour désastreuse habitude de gérer ces questions en déplaçant les prêtres incriminés de paroisses en paroisses sans prévenir du danger qu'ils représentaient. Car c'était ainsi…
Le film Spotlight retrace comment le prestigieux cardinal Bernard F. Law, pourtant intouchable archevêque de Boston (États-Unis), a été contraint à la démission le 14 décembre 2002 parce que des avocats avaient obtenu du tribunal l'obligation pour le diocèse d'ouvrir ses propres archives qui mettaient en évidence un véritable système interne de protection de prêtres pédophiles.
Cependant l'archevêché de Lyon n'est pas celui de Boston. Et le cardinal Barbarin n'est pas le cardinal Law. Les deux dossiers ne sont pas comparables. Ce prélat français en vue n'appartient pas à cette génération d'évêques qui a en effet couvert un scandaleux système d'omerta.
Jean Marie Guénois
Le Figaro
8 03 2016

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