vendredi 2 mai 2008

Malraux and Co... 2

"Il avait attendu jadis une première communion fervente, arrêtant le curé de Reichbach chargé de l’Hostie pour s’accuser d’un péché oublié à la confession de la veille (ce n’est rien mon petit Vincent : trois actes de contrition et trois Avé...). Au lieu d’un bouleversement, il n’avait trouvé que son attente. Ce soir, comme alors, il se sentait libre, -d’une liberté poignante qui ne se distinguait pas de l’abandon.” “Noyers de l’Altemburg” (1948).
La foi n’est pas le bouleversement qu’attendait ce personnage. Il y a chez Malraux, la hantise des prières non exaucées, le paradoxe “de la nuit des sens et de l’esprit” propre à toute vie religieuse. La foi est une démarche née de l’amour, elle est confiance dans le don. Or, les personnages de Malraux n’ont jamais, semble-t-il appréhendé cette dimension de la foi parce que l’amour fit cruellement défaut dans leur vie. C’est pourquoi l’expérience chrétienne culminait chez eux dans le sentiment de la solitude et la “foi dans la tension d’une volonté vigilante, reposant sur le néant intérieur.”
La question d’une transcendance donnant à la vie de l’homme tout son sens est au centre de la vie et de l’oeuvre d’André Malraux. Toutefois jamais le christianisme ne viendra éclairer franchement cette énigme, ce n’est pourtant pas faute d’un violent intérêt. Ainsi dans “Les Antimémoires” :
“ Car Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais pour le sauver”. Seul devant la mort, je rencontrais cette assistance millénaire qui avait enveloppé tant de désespoirs comme le Jugement roulerait tant de sépulcres, “Seigneur assistez-nous dans notre agonie...” Mais la foi, c’est croire ; j’admirais la rumeur chrétienne qui avait couvert cette terre sur laquelle je serai sans doute bientôt couché - je ne la croyait pas. Dans quel texte oriental avais-je lu : “le sens du monde est aussi inaccessible à l’homme que la conduite des chars des rois aux scorpions qu’ils écrasent” ? Tout se passait comme si ma valeur suprême eût été la Vérité - et pourtant, que m’importait cette nuit, la Vérité ?
Par ailleurs, Malraux ne situe pas le christianisme dans une chronologie, dans l’évolution des religions. Il est ailleurs.
“Je puis aller à Bénarès, à la Mecque ou en tout autre lieu saint sans aucune gêne. Mais Jérusalem c’est bien autre chose... Aller à Jérusalem impliquerait que j’aille à Gethsémanie... et là il me faudrait prononcer les paroles du Christ...”
Quand Malraux se trouve face à la souffrance intolérable, au néant c’est toujours la fraternité qui prend le dessus, non sans un regard sur le crucifié. Il n’est pas un adepte des thèses proclamant l’histoire comme émergence de la raison victorieuse, la science comme triomphant des énigmes et donnant le pouvoir absolu. Elles furent pour Malraux, les illusions du monde moderne. Malgré l’effondrement de ces illusion, l’homme reste une énigme. La science ne saurait être cette ouverture au mystère puisqu’elle se tient dans le domaine de l’aléatoire. Dans “Lazare” Malraux fait dire à un professeur de la Salpétrière :
“Avec l’évolution, pour la première fois, une explication du monde n’en apporte pas la signification.”
Depuis toujours Malraux a donc posé l’impossibilité de communication entre la transcendance et notre connaissance. La transcendance n’est pas niée. Sans sa possibilité, l’homme existerait-il ? Il semblerait donc que le propre de Malraux s’inscrit dans l’espace agnostique où rien n’est affirmé, mais où tout est en question. Il représente la brèche, presque la clef d’une délivrance.
L’autre brèche est l’action. Sans doute l’action révolutionnaire donne-t-elle le sentiment d’une unité de la personnalité et d’une maîtrise de son sort. Mais elle peut être également fuite éperdue. Cette action se vit dans la fraternité. Et lorsque la mort s’approche, c’est cette même fraternité qui vient fermer les yeux ou faire cortège à celui qui est tombé.
Qu’avec un sourire obscur reparaisse le mystère de l’homme, et la résurrection de la terre n’est plus qu’un décor frémissant. Très tôt, Malraux a senti le caractère collectif d’une vie humaine. La Résistance en est une illustration. Pour lui le courage et la fraternité continueront de défier la mort.
Et comme Malraux le disait lui même dans l'Espoir : "Dieu n’est pas fait pour être mis dans le jeu des hommes comme un ciboire dans la poche d’un voleur”.
Belle journée !

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