lundi 24 février 2020

Actualité

Les révélations de ce jour au sujet de Jean Vanier nous attristent, nous atterrent, nous donnent la nausée. Il semble que pas une de ces fenêtres par lesquelles nous croyions voir le ciel ne vole aujourd'hui en éclats, que pas une des colonnes supposées de l'édifice ne s'effondre. Ces révélations, parmi tant d'autres, suscitent, on le voit bien, notre besoin d'échanger. Encore s'agit-il de partager, après notre effarement et notre colère, des paroles réalistes et constructives. Décidément, en ces temps particulièrement sombres, nous n'avons pas fini de faire notre "éducation sentimentale" ni de sortir de la naïveté.
Ce qui tombe en ruines, à grande allure aujourd'hui, c'est la crédibilité des figures "charismatiques", "paternelles" et "fondatrices", trop hâtivement poussées.
Ce que tout cela met à mal, au fond, c'est notre impatience, notre gourmandise d'hagiographies. N'oublions jamais le mot du Psalmiste: OMNIS HOMO MENDAX (tout homme est menteur, Ps 115), ni ce que nous chantons chaque dimanche, si nous allons à la messe: TV SOLVS SANCTVS (Car Toi seul es saint). Je pense aussi à la devise du roi Ferrante dans "La Reine morte" de Montherlant: "Bien meilleur et bien pire". L'on peut dire cela de tout homme et, naturellement, si nous sommes honnêtes, nous pouvons, nous devons dire cela de nous-même. Ne nous illusionnons pas sur l'animalité, parfois brutale, dont tout homme est capable ; ne mentons pas aux autres en masquant la fragilité des modèles ; ne mentons pas sur l'animalité qui nous habite.
Attention aux "santi subiti" ("saints tout de suite")… Les canonisations de demain devront être prudentes. Certes, nous avons besoin de grands dévouements humanitaires. Mais cela ne suffira pas à nous édifier ni à nous convaincre. les saints obscurs de demain seront surtout des saints de l'honnêteté et de la cohérence. La grande vertu cardinale de demain, ce sera la cohérence de la vie, l'effort méritoire pour mener une vie cohérente. Et il y a là ample matière à héroïsme… Ce qu'il faudra canoniser surtout demain - rarement, et loin de toutes les médiatisations faciles - ce sera l'honnêteté, l'humble reconnaissance de ce que l'homme est réellement; ce sera, autant que possible, la cohérence de la vie. Et chacun de nous peut faire naturellement là-dessus son propre examen de conscience. Il n'est pas d'oiseau si ravissant qu'il ne comporte anatomiquement son cloaque, pas de lumière qui ne peine à s'arracher à ses propres ombres. 
Pour l'avenir, je souhaite avec beaucoup d'autres un christianisme, non du merveilleux, mais de la modestie, sans mensonge ni illusion sur ce qu'est l'homme.
Un christianisme modeste.
"Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple humble et modeste, et c'est dans le nom du Seigneur que le Reste cherchera refuge." (Sophonie, 3, 12)
Les étoiles tombent l'une après l'autre, presque chaque jour, d'un firmament naïvement, inconsidérément, malhonnêtement constitué. La rude découverte que fait aujourd'hui le monde catholique, c'est celle de l'hommerie de ses membres, de sa hiérarchie et, parfois, de ses idoles. Découverte au demeurant parallèle à celle que fait le monde de ses propres figures et de ses propres idoles. Découverte d'abord désenchantée et désenchanteresse, mais qui peut et doit nous conduire à un cran supérieur de maturité, sinon à la maturité tout court. Ce qu'il nous faut aujourd'hui, c'est une espèce de 18 juin spirituel. Dieu sait de qui l'appel viendra. Il vient d'abord de lui, bien sûr, mais, comme la réparation de la dégradation climatique, il attend notre engagement.
François Cassingena Trévedy
Moine de l'Abbaye de Ligugé

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