Réaction de Monseigneur Hippolyte Simon, après la diffusion du film sur France 3
« La guerre perdue du Vatican », le lundi 2 avril 2012
Article paru dans le journal La Croix du 3 avril 2012
Mon père, qui était un grand sage devant l’Eternel, reprenait souvent à son compte cet adage bien connu : « Celui qui veut noyer son chien, dit qu’il a la rage... » Nous avons eu une parfaite illustration de cet adage avec le téléfilm que France 3 vient de diffuser, lundi soir 2 avril, sur le Concile de Vatican II. Sous le titre : « La guerre perdue du Vatican », ce film se propose de faire le bilan, cinquante ans après son ouverture par Jean XXIII, du deuxième concile du Vatican.
D’entrée de jeu, la thèse centrale du film est posée. Bien loin que le Concile de Vatican II ait réussi à ouvrir l’Eglise aux exigences des temps qui sont les nôtres, cette parenthèse va bientôt se refermer. Nous allons assister au triomphe des intégristes et à la déconfiture des illusions conciliaires. Et pour illustrer cette thèse, le film s’ouvre sur une célébration présidée par l’Abbé Laguérie et se clôt sur une vision d’apocalypse ; un enchevêtrement de chaises vides entassées par le vent d’orage, dans la nuit des JMJ, à Madrid, au mois d’août 2011.
Entre ces deux visions, nous avons droit à un véritable pot pourri d’approximations et d’amalgames pour illustrer la thèse de départ. Tout ce qui se réclame de Vatican II a fait faillite, tout ce qui s’est dressé contre lui est au zénith.
Mais il convient de se demander ce que le narrateur met au crédit du Concile. Selon lui, les ouvertures de celui-ci sont au nombre de deux : l’aventure apostolique des prêtres-ouvriers et la théologie de la Libération. La première s’étiole aujourd’hui, faute de combattants, et la seconde n’arrive pas à se relever des coups qui lui ont été portés au plus haut sommet de l’Eglise par les deux papes successifs, Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais l’appel universel à la sainteté, qui constitue peut-être l’axe central du concile est, quant à lui, passé sous silence…
A contrario, voici que les ennemis du Concile triomphent. J’ai déjà parlé de l’Abbé Laguérie et de son Institut du Bon Pasteur, créé en 2006. Mais le documentaire oublie de préciser que les fondateurs de cet Institut n’ont pas vraiment choisi de revenir au sein de l’Eglise Romaine. Ils ont été tout simplement mis à la porte de la Fraternité Saint Pie X en 2003 et Rome les a réintégrés ensuite, à leur demande.
Plus spectaculaires encore, voici les Légionnaires du Christ. Chacun connaît maintenant l’extravagante histoire de leur fondateur, le Père Marcial Maciel, qui a réussi à faire illusion pendant près de cinquante ans et à se faire adouber par le Cardinal Sodano et le Pape Jean-Paul II. Le commentaire ne précise pas clairement si le fondateur, à la triple vie, a réussi à tromper tout le monde, et jusqu’au plus haut niveau de l’Eglise, ou bien s’il a seulement réussi à acheter le silence des plus hauts responsables de la Curie romaine alors même que ceux-ci auraient été informés de ses perversions.
Quoi qu’il en soit de la réponse à cette question – ce qui serait un autre débat - on peut se demander ce que viennent faire les Légionnaires dans ce bilan du Concile. Fondés du temps de Pie XII, en 1941, il semble bien que personne dans leurs rangs n’ait joué un rôle ni au moment du Concile, ni dans sa mise en œuvre. Il y a plusieurs demeures dans la Maison de l’Eglise et il arrive que certains mènent une vie parallèle à celle que vivent les Eglises diocésaines. Ce fut longtemps, me semble-t-il, le cas des Légionnaires du Christ. Cette page terrible, où la vérité a quand même fini par se frayer un chemin, et heureusement, n’est donc pas à mettre au débit de Vatican II. Ce serait plutôt le contraire.
A côté de cette tragédie, le film nous fait entendre, par bribes, quelques témoins et commentateurs du Concile : le Cardinal Roger Etchegaray, Mgr Georges Gilson et Mgr Albert Rouet. Manifestement, ces trois-là peuvent avoir le sentiment d’avoir été trahis. Il est facile de comprendre comment les choses se sont passées. Sollicités par l’auteur du film, ils ont, chacun de leur côté, donné une longue interview sur le Concile de Vatican II. Les conversations enregistrées témoignaient de la réception positive et heureuse du Concile. Mais, de toute évidence, ces documents ont été divisés, coupés en tranches et chaque élément s’est retrouvé placé dans une perspective globale qui est la vision du documentariste et non celle des témoins. Pour fréquente qu’elle soit, cette procédure est-elle admissible ? J’aimerais donc savoir comment leur a été présentée l’interview pour laquelle on les a sollicités. Car il est bien clair, au moment où ils parlent, que ces trois témoins n’ont pas été avertis qu’ils vont être embarqués sur un radeau qui va finir par ressembler à celui de la Méduse.
J’ai visionné ce téléfilm au terme de notre rassemblement à Lourdes, pour marquer le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile. Georges Gilson est venu avec enthousiasme témoigner de son expérience devant les 130 personnes qui composaient la délégation de la Province d’Auvergne. Et j’ai eu la joie de concélébrer la magnifique messe de clôture, dimanche matin, à côté de mon grand frère, le Cardinal Roger Etchegaray. Son témoignage, devant notre assemblée et tout au long du film " Vatican II, des images, des témoins " qui nous a servi de fil rouge pendant ces trois jours, a réjoui le cœur des 2600 participants qui représentaient ici nos Eglises diocésaines. Je suis sûr que tous les deux doivent être très marris d’avoir été ainsi utilisés par un journaliste, sinon mal intentionné, du moins terriblement partial. Et je comprends décidément très mal comment le CFRT a pu cautionner une entreprise de ce genre.
A la fin du film, comme je l’ai déjà dit, nous assistons à l’orage sur l’aérodrome des « quatrevents », à Madrid, dans la nuit des JMJ. Le pape y perd sa calotte, et les chaises s’empilent lugubrement. Nulle lueur d’espoir ne vient éclairer la nuit. On ignore la durée de l’orage et son bilan final… Il semble toutefois que le Pape ait survécu, puisqu’il était, la semaine dernière, au Mexique puis à Cuba… On est rassuré pour lui !
En un mot comme en cent, on ne peut pas laisser résumer l’héritage de Vatican II par cette caricature de bilan. Alors, pour ne pas en rester à cette impression manifestement biaisée, je propose à l’auteur du film un débat à armes égales. Regardons ensemble son film, dans les conditions du direct, et nous ferons arrêt sur images et nous commenterons, chacun de notre façon, la thèse qu’il nous propose. S’il accepte, nous pourrons progresser dans une meilleure mise en perspective de Vatican II. S’il refuse, ou si sa chaîne refuse pour lui, ce sera la preuve que nous sommes bien sous le règne de la désinformation.
+ Hippolyte Simon
Archevêque de Clermont
Vice-président de la CEF
2 commentaires:
Pfiou, Alléluia. Je suis tombée sur cette pourriture hier soir, et ça m'a juste donné envie de chialer. Quand on n'a pas d'autres éléments de comparaisons sur la matière-Vatican II-, on est plus sensibles et moins critiques…et on a beau être pleinement conscient du caractère manipulateur et désinformatif de la vidéo, ça déprime de voir notre Église si blessée et si apparemment mal en point.
Bref, merci pour cette mise au point, et haut les coeurs.
Pour qu'on lise Hippolyte ici faut-il qu'il y ait le feu au lac de Vassivière!
R.
Enregistrer un commentaire