"Durtal serra la main du confesseur et descendit l’escalier qui menait au cloître.
Il aperçut sous les galeries un cierge qui marchait et il reconnut le céroféraire, le petit frère Blanche. Il s’avançait, devant le père d’Auberoche, en coule, qui tenait sur un plateau des reliques enveloppées d’un voile et ils se dirigeaient ainsi que lui vers l’église.
L’abside ressemblait alors à une ruche ; les novices mettaient la main aux derniers préparatifs de la fête ; c’était dans le choeur mal éclairé, comme un pullulement noir. Tous s’écartèrent et le bourdonnement cessa, quand Dom d’Auberoche passa et déposa son plateau sur l’autel ; il ôta la serviette de lin, campa entre les flambeaux, des phylactères de vermeil et de bronze doré et des novices allumèrent, pour honorer et pour signaler aux fidèles la présence des reliques, des veilleuses d’or pâle, aux coins de l’autel.
Et le père D’Auberoche fit, avant de se retirer, un beau salut à ces pieux détriments, puis une génuflexion, en bas, devant le tabernacle ; et le père sacristain commença d’allumer les lampes et les cierges.
Bientôt le fond du sanctuaire fut en feu.
Tendu d’un tapis d’Orient qui recouvrait ses marches et les pavés du choeur, l’autel, paré de candélabres et de plantes vertes, rutilait ; sur la table, les ornements sacerdotaux du père Abbé étaient rangés et les deux mitres, l’auriphrygiate et la précieuse, brasillaient, l’une du côté de l’épître, l’autre, du côté des évangiles, à chaque bout.
Le choeur était habillé de tentures blanches à franges et, à gauche, érigé sur trois degrés, le trône abbatial, la cathedra de velours rouge, surmontée d’un baldaquin, se détachait sur la draperie blanche, coupée, lucarnée, en quelque sorte, au-dessus du dossier, par un cartel figurant les armes de l’Abbé, peintes.
La place habituelle du révérendissime, un peu en avant des stalles de ses moines, était décorée de velours rouge, à crépines d’or, comme le trône ; et un prie-dieu attifé d’une étoffe verte, se dressait devant l’autel.
— Oh, oh ! Se dit Durtal ; voici les signes des grands jours, car ici, le tapis de Smyrne et le prie-dieu vert constituent le summum de la hiérarchie des fêtes.
Les cloches sonnaient. Une file de religieux, en aube, le père prieur en tête, sortit de la sacristie et se dirigea vers la porte de l’église ouvrant sur le cloître, pour présenter l’eau bénite à l’Abbé. La nef s’emplissait de paysans ; le curé classait les enfants sur les bancs ; c’était dans l’église, un brouhaha de sabots et de bottes. M Lampre perça la foule et vint s’installer près de Durtal. Le très noble baron des Atours, accompagné de sa famille, entrait. Il jetait un regard protecteur sur ces manants qui s’effaçaient devant lui ; sa face de vieux capitaine d’habillement s’abattit, une fois agenouillé, au premier rang des chaises, entre ses dix doigts qui bientôt se disjoignirent, les uns pour tirer la brosse à dents de sa moustache, les autres pour caresser la boule lisse de son crâne. Sa femme était d’une distinction problématique et sa fille d’une laideur sûre ; elle ressemblait à la maman, avec quelque chose de plus provincial encore et de plus gnolle ; et le fils, un bon jeune homme, instruit dans les plus dévotes institutions, se balançait debout, les mains gantées, sur le pommeau de sa canne dont l’extrémité s’enfonçait dans la paille malade de la chaise.
On se demandait si ces gens savaient lire, car ils n’avaient aucun livre et se bornaient à égrener, qu’ils fussent, à la messe, aux matines ou aux vêpres, de précieux chapelets, montés sur argent, et qui simulaient, avec le cliquetis de leurs médailles, un bruit de cheval secouant son mors.
Et, tout à coup, l’orgue éclata en une marche triomphale ; l’Abbé pénétrait dans la nef, précédé de deux maîtres des cérémonies entre lesquels marchait le porte-crosse, en aube, les épaules couvertes de la vimpa, une écharpe de satin blanc à revers de soie cerise dont les très longs pans, ramenés sur la poitrine, servaient à envelopper la tige de la crosse ; et l’Abbé dont la grande traîne noire était portée par un novice bénissait, au passage, les fidèles agenouillés qui se signaient.
Et lui-même était allé se mettre à genoux sur le prie-dieu et toute sa cour de cérémoniaires, de chapiers, de religieux en aube, s’agenouillait aussi et l’on ne voyait plus qu’une volute d’or, dominant un champ de lunes mortes, la crosse debout au-dessus des larges tonsures, rondes et blanches, des têtes.
A un signal du P. d’Auberoche, frappant légèrement dans ses mains, tous se relevèrent ; l’Abbé gagna son trône près duquel se postèrent les trois diacres d’honneur ; et le prie-dieu vert fut remisé.
Le choeur était plein ; les deux rangs des stalles du haut étaient occupés, de chaque côté, par les coules noires des profès et des novices, celles du bas par les coules brunes des convers et, au-dessous d’eux, sur des bancs, fulminaient les robes vermillon des enfants de choeur ; et c’était, dans l’espace laissé vide, les allées et venues des cérémoniaires et du porte-crosse, le va-et-vient des autres porte-insignes, du porte-bougeoir et du porte-mitre ; et ces exercices étaient si expertement réglés que, dans une étendue très restreinte, tous évoluaient, se croisaient, les uns dans les autres, sans jamais se gêner.
L’Abbé commença l’office."
Joris Karl Huysmans
L'oblat, chapitre VII
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire