« La miséricorde de Bergoglio fait scandale dans l’Église »
Le terme “apocalypse” n’indique
pas, comme beaucoup le pensent, quelque chose de catastrophique, mais bien
plutôt le fait qu’un « voile se lève » ;
c’est une révélation, l’émergence d’une réalité inattendue ou cachée. Pour
cette raison, ce qui se produit non seulement en ces jours de Synode mais
depuis le début du pontificat de François est une apocalypse révélant des
situations qui paraissent impossibles et dévoilant la vérité des consciences et
des cœurs, souvent cachée derrière des flatteries, des hypocrisies de langage
et de comportement. Qu’y a-t-il en jeu dans cette confrontation synodale qui
apparaît parfois comme une rude bataille ?
Non pas ce que l’Église croit dans son obéissance à l’Évangile. En particulier,
ce n’est pas la doctrine catholique sur l’indissolubilité du mariage qui est en
jeu – et le pape François s’en est déclaré garant à plus d’une reprise – ni une
négociation de l’Église, et en premier lieu des pasteurs, autour de la famille
aujourd’hui, de sa crise, des blessures qu’elle peut enregistrer dans les
histoires d’amour, de sa fragilité comme de ses réussites toujours imparfaites
et contredites. Non, c’est la dimension pastorale qui est en jeu, l’attitude à
assumer envers ceux qui se sont trompés et envers la société contemporaine. Et
en ce sens précisément l’Église, qui a reçu les sacrements du Seigneur et croit
en eux avec obéissance, pour en être ministre, a la tâche de déterminer la
discipline en la renouvelant et en la rendant plus fidèle à l’Évangile compris
toujours mieux au cours de l’histoire grâce à l’action de l’Esprit Saint.
Il faut le dire clairement : ce qui scandalise, c’est la
miséricorde ! Cela pourrait
sembler impossible. Nous ne pouvons cependant pas oublier que Jésus n’a pas été
condamné et mis à mort parce qu’il se serait taché de quelque crime selon le
droit romain, ni parce qu’il avait démenti la parole de Dieu contenue dans la
loi et les prophètes, mais bien en raison de son comportement trop
miséricordieux qui brisait les barrières érigées par les justes endurcis contre
les pécheurs publics : il
annonçait en effet le pardon, sans recourir à une justice rétributive et
punitive, il aimait fréquenter les prostituées et les pécheurs connus comme
tels, et se tenir à table avec eux. Sa manière de se comporter a révélé que la
miséricorde n’est pas un correctif pour adoucir la justice, ni même un secours
pour ceux qui ne connaissent pas la vérité :
la justice de Dieu est toujours miséricorde, plus encore c’est la miséricorde
qui établit la justice et rend la vérité resplendissante et non éblouissante.
Les ennemis de Jésus étaient des experts des Saintes Écritures (scribes) et des
hommes « religieux » qui mettaient leur confiance en eux-mêmes et dans leur
comportement scrupuleusement observant.
Il est donc révélateur qu’une
opposition analogue émerge également à l’encontre du pape François et du chemin
qu’il tente de tracer pour l’Église, cet exode vers les périphéries
existentielles d’une humanité souffrante et mendiante d’amour, de tendresse, de
compassion dans un monde toujours plus dur, toujours plus incapable de
proximité et de fraternité. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dès les
premiers pas de ce pontificat :
si le pape sera fidèle à l’Évangile, il se confrontera à l’opposition, et même
au rejet et au mépris, parce qu’il ne pourra pas être davantage que son
Seigneur. Jésus l’a prophétisé simplement en interprétant ses propres
vicissitudes et celles des prophètes avant lui.
Ce qui étonne est précisément que
ceux qui avançaient non des critiques ou des contestations à l’égard des papes
précédents, mais leur posaient simplement des questions, étaient aussitôt taxés
de « non catholiques ». Alors qu’aujourd’hui, grâce à la liberté que François a
voulu assurer au débat, certains en viennent à soupçonner qu’il permette de
laisser manipuler une discussion qui dans l’Église devrait toujours être écoute
de l’autre, éloquence des convictions propres sans acharnement, reconnaissance
que le successeur de Pierre, le pape, « fait route avec » (syn-odos) les
évêques, mais en présidant leur communion avec un charisme et un mandat propres
qui proviennent du Seigneur lui-même.
Nous en sommes revenus au temps
du Concile, aux contestations plus ou moins manifestes, aux médisances contre
Jean XXIII et Paul VI ; mais
cela ne doit pas épouvanter. Dans son histoire, l’Église a connu des heures
plus critiques, même si ces vicissitudes n’offrent indubitablement pas un
témoignage de parrhésie (parole libre et franche) et de communion fraternelle.
Il est étonnant que cette contestation provienne précisément de ceux que le
pape François a voulu proches de lui dans le gouvernement de l’Église ou
auxquels il a donné le mandat de l’aider pour tracer un chemin de réforme des
institutions. Mais cette donnée révèle qui est le pape actuel : ce n’est pas un pontife qui
écarte ceux qu’il sait différents de lui, ceux qui ont des sensibilités très
éloignées, ce n’est pas un « régnant » qui marginalise ceux qui ont d’autres
optiques pastorales. Tous peuvent constater cette attitude de sa part, qui
assurément lui nuit et lui rend plus laborieux son service pour l’Église.
D’ailleurs, dans l’Église, il en est de ceux qui voudraient que le pape
François ne soit qu’une brève parenthèse, qui affirment que « ce pape ne leur
plaît pas », qui le considèrent « faible dans la doctrine », qui n’aiment pas
son œcuménisme désirant embrasser tous les baptisés et ne créer aucun mur à
l’égard des non-chrétiens et des hommes et des femmes du monde.
Par choix de Benoît XVI, j’ai
participé à deux Synodes. Et, je ne vois pas dans celui qui est en cours
actuellement une procédure radicalement différente, sinon pour l’appel du pape
François à la parrhésie et pour une méthodologie différente, voulue au service
de cette liberté de parole :
le fait par exemple de publier le résumé de la discussion sans fournir les noms
de ceux qui sont intervenus et les phrases qu’ils ont prononcées permet de ne
pas classer les évêques comme traditionalistes ou innovateurs, conservateurs ou
libéraux, sur la base d’affirmations apodictiques (c’est-à-dire évidentes) qui
ne reflètent pas l’incidence que la confrontation et le dialogue ont eue au
cours du débat. Les différences en effet sont légitimes, surtout dans une
assemblée véritablement catholique, où les évêques sont les porte-parole de leur
peuple, les gardiens de la foi inculturée dans une région précise, laquelle
n’apparaît pas toujours contemporaine d’autres.
Être « serviteur de la communion
» est ardu pour le pape François, mais les catholiques croient aussi que repose
sur lui la promesse que Jésus lui-même a faite à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne
disparaisse pas. Et toi, affermis tes frères !
» Ce temps est une heure d’apocalypse dans l’Église, et ce ne sera pas la
dernière : que chacun assume
pour soi ses responsabilités à l’égard de la communion catholique, et plus
encore à l’égard de l’Évangile auquel il dit vouloir obéir.
Enzo Bianchi
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