Catholicisme : la meute qui aboie
Denis Tillinac
Je me trouvais à Rome la semaine dernière, et en voyant les groupes de pèlerins affluer joyeusement vers Saint-Pierre, je me suis dit que l’Église sortirait ragaillardie de cette cabale délirante. C’était l’audience du mercredi ; le pape fut acclamé. Il y a très longtemps que des foules acclament des papes à Rome et ça continuera, quoi que prétendent les prophètes d’un dépérissement de l’Église, sur un ton faussement navré.
Certes, l’Occident semble atteindre le fond d’une déchristianisation qui frappe son âme d’aphasie. Mais pour le milliard de fidèles de la catholicité romaine, le pape demeure la vigie, et la basilique du successeur de saint Pierre, le centre du monde. Du reste, l’Occident peut renouer avec ses fondements, le relativisme dénoncé à juste titre par Benoît XVI n’aura qu’un temps.
Au fond, si ce pape suscite une telle hargne, c’est parce qu’il démystifie la “modernité” en profondeur : sa lucidité fait peur et fait honte, le miroir qu’elle nous tend n’a rien de reluisant, rien de rassurant non plus. Les ecclésiastiques proches du Saint-Siège ont tendance à invoquer un complot fédérant le vieil athéisme, le nouveau panthéisme et la kyrielle d’avocats – surtout américains – alléchés par la manne pontificale. Ils n’ont pas tort, mais la vindicte anticatho n’aurait pas pris une telle ampleur si ne l’orchestrait une mauvaise conscience universelle. Ce que dit le pape invalide le discours ambiant des “élites”pensantes et gouvernantes,voilà où le bât blesse. Toutes les “élites”, d’où la coalition hétéroclite d’analystes bidons feignant de réduire le problème aux acquis d’une crise de régime dont l’Église se tirerait en mariant ses prêtres, en ordonnant des femmes et en suggérant aux fidèles de s’envoyer en l’air comme à la télé ou sur les panneaux publicitaires.
Que l’Église se mette au goût du jour ne changerait rien. Au pire, elle déboussolerait la masse de ses ouailles ; les fidèles n’en attendent pas une conversion mondaine, mais précisément le rappel de valeurs opposées aux credos mondains. Ce à quoi elle s’évertue depuis deux mille ans, avec des fortunes diverses. Elle continuera, c’est sa raison d’être. Mettons qu’elle ne sache pas communiquer dans cette affaire de pédophilie, où comme par hasard, ses pires contempteurs furent d’une mansuétude extrême vis-à-vis de Cohn-Bendit, de Polanski et de Frédéric Mitterrand.
Ce ne sont donc pas les actes fâcheux de pédophilie imputés à des prêtres qui choquent les médias et les autorités publiques. Ils cartonnent le pape parce qu’il les gêne aux entournures. Mettons que sur l’homosexualité, la position de l’Église soit rigide. Mais les mêmes médias ne reprochent jamais aux rabbins et aux imams de tenir imperturbablement une position identique. Ce n’est donc pas l’homophobie que l’on récuse, mais l’influence de l’Église. D’une certaine façon, la meute qui aboie à ses basques lui fait bien de l’honneur.
Car enfin, dépourvu du moindre pouvoir temporel depuis 1870, le Vatican n’oblige personne à se soumettre à ses préceptes. On ne baptise ni n’ordonne personne de force. Le célibat des prêtres, dont on prétend qu’il inciterait à la pédophilie, procède d’un choix personnel et mûrement pesé. D’ailleurs, le célibat n’est nullement l’apanage des prêtres ; il n’a jamais été stigmatisé en tant que tel. C’est donc l’Église que l’on vise, et elle seule. Elle en a vu d’autres, elle en verra d’autres.
Texte publié dans Valeurs actuelles du 22 avril 2010
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