"Ce fut là que saint Martin accomplit le premier de ses miracles que l’on connaisse, le miracle du catéchumène.
Le voici, en quelques lignes : Un jeune homme s’était joint aux novices réunis autour de la celle du saint. Or, un jour, il fut atteint si violemment de langueur et de fièvre qu’il mourut, avant qu’on eût pu le baptiser. Quand saint Martin, qui était alors absent, revint, il s’enferma avec le cadavre et, à force de prières et de larmes, il le ressuscita.
A l’endroit même où s’opéra ce miracle, se dresse maintenant une chapelle qui est un des lieux de pèlerinage du Poitou. Ajoutons qu’une légende attribue le trépas du catéchumène non à une maladie, mais à une piqûre de vipère ; aussi les fidèles croient-ils que, grâce à la puissance du thaumaturge, les vipères rouges et noires qui infestent encore les environs ne peuvent plus nuire à personne ; et le fait est que, de mémoire d’homme, à Ligugé, l’on ne se rappelle point que ces bêtes aient jamais attaqué quelqu’un.
Saint Martin paraît être resté pendant treize ans dans son monastère, puis il fut enlevé par ruse et placé, malgré lui, sur le siège épiscopal de Tours.
Nous le laisserons dans cette ville, pour ne plus nous occuper que de son abbaye, dont nous résumerons succinctement l’histoire, d’après une monographie de son savant prieur, le R. P. Dom Chamard.
La communauté créée par saint Martin allait toujours en s’augmentant ; aussi devint-il nécessaire d’édifier un cloître et de bâtir une église, qui fut construite sur l’emplacement du logis du saint et de la cellule du catéchumène, et nous voyons, parmi la foule des chrétiens accourus pour visiter ce sanctuaire et ce couvent, saint Grégoire de Tours qui nous raconte la guérison d’un paralytique obtenue par l’intercession de saint Martin, en ces lieux.
Au VIIe siècle, le monastère adopta la règle bénédictine et devint alors un centre actif et révéré.
Malheureusement, du siècle suivant jusqu’au XIe siècle, les musulmans ravagèrent le Poitou et détruisirent l’église. Elle fut relevée par Theudelin, abbé de la congrégation bénédictine de Maillezais, de la réforme de Cluny ; la vie monastique y reprit et les pèlerinages, un peu oubliés dans ces tourmentes, recommencèrent. Successivement l’on note, parmi les noms célèbres des hôtes recueillis dans le cloître saint Fulbert de Chartres, Guibert, abbé de Gembloux, les papes Urbain II et Clément V.
L’histoire révèle même que ce dernier s’y purgea.
Au XIVe siècle, la basilique et les bâtiments conventuels furent jetés bas par les Anglais, les moines furent disperses et les biens vendus.
L’évêque de Maillezais parvint néanmoins à rentrer en possession des décombres, qu’il restaura tant bien que mal ; à ce moment, la vie religieuse était presque éteinte à Ligugé. Pour l’achever, l’abbaye tomba en commende ; mais, plus heureuse que d’autres, elle finit par trouver, en 1504, un abbé commendataire, Geoffroi d’Estissac, qui, au lieu de la ruiner, la dota.
C’est lui qui a construit l’église actuelle et certaines parties encore debout du cloître.
Ce d’Estissac était un grand seigneur, très généreux et très lettré, et parmi les nombreux amis qu’il recevait dans son reclusage, figure Rabelais qui logeait dans une tour que l’on voit encore près de la porterie et à laquelle il a prêté son nom.
En novembre 1607, Ligugé devint la propriété des pères jésuites. Ils y édifièrent un corps de logis — aujourd’hui l’aile méridionale du monastère, — et ils occupèrent l’immeuble jusqu’en 1763, époque à laquelle leur compagnie fut supprimée.
Enfin la Révolution vola le couvent et les terres, transmua le sanctuaire en une salle d’assemblée communale ; mais il fut réconcilié après le Concordat et rendu au culte.
L’abbaye, elle, était morte, et il a fallu attendre jusqu’en 1853 pour qu’elle revînt, telle que le catéchumène, à la vie.
Ce fut à cette époque que l’évêque de Poitiers, Mgr Pie, de glorieuse mémoire, accomplit ce miracle avec l’aide d’une famille dont le nom n’a pas été sans faire un certain bruit dans les tristes annales de notre temps, la famille des du Paty de Clam.
Il appela une petite colonie de Solesmes, et cette colonie prospéra et se mua, de prieuré qu’elle était, en 1863, en une abbaye. Elle est aujourd’hui l’une des plus importantes maisons bénédictines de France, et elle a essaimé et ressuscité à son tour l’antique abbaye de San Domingo de Silos, dans la Vieille-Castille ; de Saint-Wandrille, dans la Normandie, et fondé à Paris même, rue de la Source, no. 5, un prieuré.
A l’heure présente, elle prie dans le plus gai et le plus frais des paysages, sur le bord de ce Clain qui a repris ses habitudes séculaires et continue, comme autrefois, à mirer le va-et-vient noir des moines ; dans son église qui est commune aux habitants du village et aux religieux, la splendeur des liturgies se déroule.
Les jours de grande fête, les halliers en feu des cierges incendient la nef qui semble onduler avec l’or des chasubles et des chapes ; des théories blanches et noires de moines évoluent dans les brumes azurées des thuribules ; l’abbé mitré et crossé resplendit sous ses ornements dont les pierres aux flammes des cires s’allument et le vent des grandes orgues emporte les chants dont les claires volutes se dispersent, sous les arcs enfumés des voûtes.
Les cérémonies des églises parisiennes ne peuvent donner aucune idée de ces féeries liturgiques admirablement réglées et dont chaque mouvement répond à une intention symbolique, dont chaque geste a un sens."
J. K. Huysmans
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